La 60e édition du Salon de l’agriculture a démarré ce matin de manière très mouvementée. Si le gouvernement estimait avoir répondu à l’essentiel des revendications du monde agricole, les réponses politiques à la crise agricole sont insuffisantes ou inadaptées aux réelles attentes.
Une crise d’ampleur partagée par l’ensemble du monde agricole dans toute sa diversité
Depuis le début de l’année, le monde agricole dans toute sa diversité s’est embrasé. Ce mouvement de protestation n’est ni une surprise, ni une nouveauté : il est le résultat de problématiques économiques structurelles, d’inégalités qui se creusent entre les agriculteurs, d’une vulnérabilité croissante face aux multiples crises sanitaires et environnementales (inondations, sécheresses, maladie épizootique, etc) et des réponses politiques qui, depuis des années, n’y répondent pas durablement.
Selon le Pôle Inpact qui a recueilli de nombreux témoignages sur la situation, il est difficile de se faire une idée des problèmes lorsqu’on ne fait pas partie du monde agricole car les revendications sont parfois diamétralement opposées. Pour Marie-Andrée Besson, éleveuse retraitée dans le Jura et présidente d’une association de défense des agriculteurs et agricultrices en difficultés : “les causes du mal-être constaté à Solidarité Paysans, c’est un système agro-industriel qui vise l’intensification de la production, l’exportation, qui n’a rien à faire du bien-être des paysans et qu’ils aient de quoi vivre.”
La crise actuelle intervient aussi dans un contexte où le déclin du nombre de paysans en France est dramatique et risque de s’accentuer : 200 fermes disparaissent chaque semaine, 50% des agriculteurs auront l’âge de prendre leur retraite dans les 10 ans et ⅓ des personnes souhaitant devenir agriculteur abandonnent leur projet faute d’un accompagnement adapté par les pouvoirs publics.
Une enquête auprès des agriculteurs pour comprendre leurs préoccupations dans un contexte de crise agricole
Pour éclairer les tensions, les perceptions et la réalité des préoccupations qui parcourent le monde agricole, notamment dans la perspective d’une Loi d’Orientation Agricole d’ampleur à venir, le Collectif Nourrir publie les premiers résultats d’une enquête réalisée en novembre 2023 par BVA Xsight (en partenariat avec Terra Nova et avec le soutien de Parlons Climat) auprès de 600 chefs d’exploitations.
=> Voir le sondage complet
Les Chiffres à noter :
- Parmi les préoccupations principales, 21% des agriculteurs mentionnent les impacts des dérèglements climatiques en réponse spontanée
- Le contexte économique est une source de préoccupation majeure pour 52% et en particulier la construction du revenu agricole sous ses différentes composantes : augmentation des coûts (18%), instabilité des marchés (16%), prix de vente insuffisants (12%)
- 62% des agriculteurs estiment que la transition écologique est une nécessité. 23% considèrent même qu’il s’agit d’une opportunité : le refus de la transition est donc largement minoritaire auprès des agriculteurs (15%)
- Le profil des agriculteurs change :
- 57% des installés depuis moins de 10 ans ont au préalable exercé une activité sans lien avec l’agriculture
- seuls 34% des agriculteurs installés depuis plus de 10 ans travaillaient déjà en lien avec l’agriculture avant leur installation
Les principaux enseignements du sondage :
- Loin de quelques revendications phares (type “les pesticides”, “le GNR”, ou “les écologistes”) sur lesquelles les réponses du gouvernement se sont concentrées, les préoccupations des agriculteurs sont multiples et diverses.
- Une demande claire de soutien pour adapter les fermes au contexte écologique est également très majoritairement partagée.
Des réponses politiques inadaptées aux réelles attentes du monde agricole dans sa diversité
Les réponses politiques apportées pour le moment ne sont pas à la hauteur : la démarche actuelle du gouvernement est d’éteindre dans l’urgence l’incendie, et non pas d’en chercher les causes profondes.
Des annonces mais pas de sortie de crise durable sans traiter en profondeur la question du revenu et le contexte économique :
- Le gouvernement n’a, depuis ses premières annonces, offert aucune nouvelle proposition pour garantir un revenu digne aux agriculteurs.
- Certaines mesures proposées stoppent pour un temps des décisions politiques qui auraient aggravé les choses (refus de l’accord de libre échange MERCOSUR en l’état), d’autres n’ont fait que réaffirmer, encore une fois, les principes d’une loi (EGALIM) jamais réellement respectée, ou le paiement d’aides dans tous les cas dûes.
- Les préoccupations clés des agriculteurs sur la construction de leur revenu (instabilité des marchés, hausse des coûts de production, prix de revente) nécessitent de mettre enfin en place des mesures structurelles et un vrai choc de la régulation économique.
- L’objectif prioritaire d’assurer la souveraineté alimentaire reste brandi mais avec une vision incomplète et limitée de ce que cette approche suppose. La souveraineté alimentaire n’est pas un enjeu de compétitivité des marchés ! Son socle doit être d’assurer le droit à l’alimentation et le droit des paysans et assurer une reterritorialisation des productions et marchés et assurer des enjeux commerciaux justes.
Aucune réponse aux préoccupations et besoins concernant la transition agroécologique et la bio
- Si Gabriel Attal a souligné que les agriculteurs sont les premières victimes des dérèglements climatiques, aucune annonce de soutien politique et financier n’a été faite pour assurer la transition agroécologique et soutenir la filière biologique.
- Le signal envoyé aux agriculteurs et agricultrices qui, depuis des années, sont en première ligne des chocs climatiques et les principaux acteurs de la transition est très négatif.
- Dans le même temps, un certain nombre de mesures se trompent de cible en reculant sur des objectifs environnementaux (recul sur le plan de réduction des pesticides, facilitation du développement de mégabassines et de l’agrandissement d’élevages industriels, etc)
- Elles ne constituent pas la majorité des revendications de la majorité des agriculteurs aujourd’hui, ne résoudront en rien le problème de revenu, de résilience des fermes et d’attractivité du métier pour repeupler nos campagnes demain.
Pas de solution efficace pour aider les nouveaux profils de candidats à l’installation agricole à aller au bout de leur projet :
La création d’un nouveau service unique pour accompagner toutes les installations et les transmissions de ferme n’adresse pas réellement la problématique de l’accompagnement des porteurs de projets et en particuliers ceux non-issus du monde agricole :
- S’ils représentent aujourd’hui 60% des profils et souhaitent majoritairement se tourner vers l’agroécologie et la bio, aucune garantie d’accompagnement par une pluralité de structures n’a été donnée. Pourtant, il y a urgence : ⅓ des candidats à l’installation abandonnent faute d’accompagnement adapté par les pouvoirs publics et ⅓ se tournent vers des organisations paysannes qui viennent palier ce manque d’expertise et se substituer au parcours officiel
- Alors qu’ils ont beaucoup plus de difficultés à accéder à la terre agricole, aucune proposition concrète n’a été faite pour assurer une meilleure répartition du foncier — pire des mesures introduites pourraient en accélérer la financiarisation.
Quelles solutions pour une sortie de crise durable ?
Les dernières annonces du 21 février par Gabriel Attal et le 24 février par Emmanuel Macron présent au Salon International de l’agriculture sont une continuité des premières propositions et ne font que confirmer que le dispositif sera clairement insuffisant pour assurer le renouvellement des générations, le revenu des agriculteurs et la transition agroécologique.
La loi d’orientation agricole peut et doit devenir un levier ambitieux pour résoudre une partie des problèmes :
- revaloriser les retraites du monde agricole (les plus basses en France)
- améliorer la protection sociale
- accompagner dignement les futurs paysans et les cédants selon leurs besoins
- assurer un vrai accompagnement (humain, technique, financier) à la transition agroécologique et bio pour aider les fermes à s’adapter pour être résilientes face aux crises
Nos propositions pour la Loi d’Orientation agricole sont recensées ici