Le Com­mis­saire européen à l’agriculture Christophe Hansen aura bien tenu sa promesse. 100 jours après sa prise de poste, il pub­lie sa “Vision pour l’Agriculture et l’Alimentation”. Sor­ti le 19 févri­er, ce doc­u­ment se veut être à la fois le point de départ et la feuille de route de l’action de la Com­mis­sion européenne en matière d’agriculture pour les années à venir. Mais en pous­sant encore plus loin la sim­pli­fi­ca­tion tout en souhai­tant s’in­scrire dans la lignée du Dia­logue Stratégique, Christophe Hansen tente des com­pro­mis qui ne vont pas aider l’agriculture à relever les défis économiques, cli­ma­tiques et environnementaux. 

 

Une vision pour l’Agriculture qui parachève la mise en place des institutions européennes pour leur nouveaux mandats

Ursu­la Von der Leyen, la prési­dente de la Com­mis­sion européenne réélue en juil­let dernier, avait déjà anticipé les travaux de la prochaine man­da­ture en lançant le Dia­logue Stratégique en jan­vi­er 2024. Cet exer­ci­ce de con­cer­ta­tion qui réu­nis­sait une trentaine d’acteurs des secteurs agroal­i­men­taires, de la société civile, des com­mu­nautés rurales et du monde uni­ver­si­taire européens a abouti à des con­clu­sions sou­vent pré­cis­es et par­fois très ambitieuses en matière de répar­ti­tion des aides ou d’actions envi­ron­nemen­tales. Pour­tant au même moment, les man­i­fes­ta­tions agri­coles dans toute l’Eu­rope ont con­duit à un détri­co­tage sans précé­dent des poli­tiques envi­ron­nemen­tales européennes et nationales actuelles. 

Suite aux élec­tions européennes en juin, le nou­veau Par­lement européen a validé le col­lège des com­mis­saires européens nom­més par Ursu­la von der Leyen. L’ancien eurodéputé lux­em­bour­geois du Par­ti Pop­u­laire Européen (PPE, droite con­ser­va­trice), Christophe Hansen, est ain­si devenu le nou­veau com­mis­saire européen à l’Agriculture. La let­tre de mis­sions que lui a remise la prési­dente l’engage à con­cili­er les con­clu­sions du Dia­logue Stratégique avec les enjeux de sim­pli­fi­ca­tion et de com­péti­tiv­ité. Deux enjeux qui mar­quent déjà les débats sur le futur Cadre Financier Pluri­an­nuel de l’Union Européenne 2028–2034 qui déter­mine les grandes mass­es budgé­taires de l’UE, notam­ment la Poli­tique agri­cole com­mune (PAC), et leurs allocations. 

Par­al­lèle­ment, le Con­seil de l’Union européenne et la nou­velle Com­mis­sion Agri­cul­ture du Par­lement ont fait savoir leur attache­ment à un bud­get autonome et fort pour la PAC en réac­tion à l’hypothèse lancée par la Com­mis­sion d’un fond unique, fusion­nant les bud­gets PAC à d’autres pro­grammes, et décliné via des plans nationaux. 

La “Vision pour l’Agriculture et l’Alimentation” sem­ble être une pre­mière syn­thèse entre ces posi­tion­nements par­fois con­tra­dic­toires alors même que les ten­sions dans le monde agri­cole sont tou­jours pal­pa­bles et que le con­texte géopoli­tique est des plus instable. 

 

Une vision qui cherche à ménager la colère des agriculteurs

Dans sa vision, Christophe Hansen met l’accent sur le revenu des agricul­teurs et la sim­pli­fi­ca­tion. Ce qu’il retient des con­clu­sions du Dia­logue Stratégique sont surtout les recom­man­da­tions qui répon­dent aux reven­di­ca­tions des récentes man­i­fes­ta­tions agri­coles de 2024. Afin de con­solid­er les revenus et, ain­si, don­ner des per­spec­tives sta­bles au secteur, le Com­mis­saire pro­pose en pre­mier lieu de ren­forcer la place des agricul­teurs dans la chaîne de valeur.

Mais au-delà de rap­pel­er les révi­sions du règle­ment OCM (Organ­i­sa­tion Com­mune de Marché) et de la direc­tive UTP (sur les pra­tiques com­mer­ciales déloyales) lancées en ce début 2025, et d’invoquer l’élaboration déjà prévue d’un Obser­va­toire européen des chaînes ali­men­taires, la “Vision” ne pro­pose rien de nou­veau à plus long terme. En matière de com­merce inter­na­tion­al, le Com­mis­saire européen veut faire en sorte que les accords com­mer­ci­aux n’en­traî­nent pas de con­cur­rence déloyale en veil­lant à un plus grand aligne­ment des normes appliquées aux pro­duits importés, notam­ment sur les pes­ti­cides et le bien-être animal.

Con­cer­nant le ciblage et la dis­tri­b­u­tion des aides de la PAC, la “Vision pour l’A­gri­cul­ture et l’Alimentation” reprend des propo­si­tions clés du Dia­logue Stratégique. Le com­mis­saire européen souhaite que les aides de la future PAC soient mieux ciblées vers les nou­veaux agricul­teurs et les fer­mes qui répon­dent aux besoins ali­men­taires de l’UE tout en préser­vant l’environnement. Il reprend aus­si l’idée d’une util­i­sa­tion plus poussée, mais adap­tée aux Etats, de la dégres­siv­ité et du pla­fon­nement sans toute­fois s’engager dans une refonte pro­fonde des aides à l’hectare. 

 

Une vision qui appelle le marché à la rescousse de l’environnement

Bien qu’elle s’inscrive dans la con­ti­nu­ité du Dia­logue Stratégique, la “Vision” de Christophe Hansen sem­ble mar­quer un désen­gage­ment poli­tique des ques­tions envi­ron­nemen­tales : inciter et sim­pli­fi­er plutôt qu’encadrer, mobilis­er l’action privée plutôt que le sou­tien public. 

Dès le print­emps 2025, Christophe Hansen prévoit une nou­velle salve de sim­pli­fi­ca­tions  con­cer­nant notam­ment les petites exploita­tions ou celles engagées dans des référen­tiels pré­cis (comme l’Agriculture Biologique) sans plus de pré­ci­sions à ce stade. Il souhaite aus­si une mise en œuvre sim­pli­fiée des Plans stratégiques nationaux (PSN) en lais­sant plus de sou­p­lesse aux Etats mem­bres dans l’ajustement des mon­tants des dif­férents instru­ments de la PAC.

Pour con­tre­bal­ancer cette cure d’amaigrissement régle­men­taire, le Com­mis­saire souhaite s’appuyer sur des mesures inci­ta­tives et volon­taires, dans la lignée du “suc­cès” des éco-régimes, pour ne pas laiss­er croire que la com­mis­sion laisse de côté ses ambi­tions envi­ron­nemen­tales. Pour­tant, aucune garantie n’est apportée par le Com­mis­saire européen sur le ren­force­ment des mesures inci­ta­tives alors que la Cour des comptes européenne soulig­nait en sep­tem­bre dernier les man­que­ments des éco-régimes pour répon­dre aux objec­tifs envi­ron­nemen­taux de l’UE. À ce pro­pos, le Com­mis­saire sem­ble frileux à s’engager sur des chiffres. Dans un entre­tien don­né à Con­texte le jour de l’annonce de sa vision, Christophe Hansen à déclaré, con­cer­nant les ambi­tions de l’UE sur la décar­bon­a­tion : “Il faut s’interroger sur l’utilité d’imposer un objec­tif chiffré”. 

Ce nou­veau signe de désen­gage­ment de la Com­mis­sion européenne sur les ques­tions cli­ma­tiques et envi­ron­nemen­tales est souligné par l’invocation des marchés et de l’innovation pour sauver le secteur agri­cole. Christophe Hansen compte sur l’esprit d’innovation et d’entreprise des agricul­teurs pour con­cili­er économie et tra­vail avec la nature afin de faire de l’Europe un leader mon­di­al de la “bioé­conomie”. Pour y par­venir, la “Vision” met en avant le “car­bon farm­ing”, avec un cadre de cer­ti­fi­ca­tion et d’évaluation pour sécuris­er le marché des crédits car­bone, ou encore les “crédits nature”, per­me­t­tant de com­mer­cialis­er des unités de sur­face gérées écologique­ment. Der­rière ses approches se pro­fi­lent de réels risques de marchan­di­s­a­tion de la nature, de green­wash­ing et d’accaparement des ter­res. 

Enfin, sur la ques­tion des pes­ti­cides, le Com­mis­saire européen souhaite ne pas inter­dire de sub­stance tant que des solu­tions alter­na­tives ne seront pas pro­posées. Une posi­tion faisant forte­ment écho aux débats français sur le sujet, notam­ment dans le cadre de la loi d’orientation agri­cole.

 

Nous restons mobilisé·es !

Si l’annonce de cette “Vision” vient clore l’installation des insti­tu­tions européennes dans leurs nou­veaux man­dats, elle ouvre aus­si offi­cielle­ment les débats sur l’avenir des poli­tiques agri­coles de l’Union européenne. À cette pre­mière pierre vien­dront s’ajouter les con­tri­bu­tions des autres par­ties prenantes : les insti­tu­tions européennes, les Etats mem­bres mais aus­si la recherche et la société civile. L’ensemble de ces propo­si­tions per­me­t­tront de bâtir la future Poli­tique Agri­cole Com­mune atten­due pour 2027. Le Col­lec­tif Nour­rir pour­suiv­ra son impli­ca­tion pour con­tribuer à ce grand chantier.