La déflagration politique en France suite aux élections européennes ne doit pas nous faire oublier l’importance des enjeux au niveau de l’Union, et l’impact des élections européennes sur l’agriculture. Dans un contexte de changement climatique, de guerre aux portes de l’Europe et de crise du coût de la vie, les prochains eurodéputés auront de lourds enjeux à traiter. La Politique agricole commune (PAC) aura donc une place majeure lors de la prochaine mandature.
Les nouveaux équilibres politiques au Parlement européen
Les résultats des élections au niveau européen, dont on attend encore les décomptes définitifs, changent relativement peu les équilibres politiques globaux entre les 720 eurodéputés. Le Parti Populaire Européen (PPE, droite conservatrice) renforce sa position majoritaire malgré l’échec des Républicains en France. Le groupe Renew (centristes libéraux dont fait partie Renaissance) perd 22 sièges. Les groupes des Verts et des Socialistes et Démocrates (S&D, groupe socio-démocrate) perdent quant à eux 27 sièges.
Les deux groupes d’extrême droite, Identité et Démocratie (ID, dont fait partie le Rassemblement National français) et les Conservateurs et Réformistes Européens (CRE, porté par le parti de Giorgia Meloni et dont fait partie Reconquête !), maintiennent un total d’environ 130 eurodéputés malgré de fortes évolutions au sein des États membres. Les non-inscrits et les nouveaux eurodéputés sans appartenance pour le moment représentent environ une centaine de sièges. On retrouve parmi eux l’AFD, Alternative für Deutschland, le parti d’extrême droite allemand qui remporte 15 sièges.
Résultats provisoire de la composition du nouveau Parlement européen au 14 juin 2024 (source : https://results.elections.europa.eu/fr/)
Malgré ces résultats relativement stables à l’échelle de l’Union, des changements importants ont eu lieu au niveau des États membres. Ils peuvent redessiner les alliances entre groupes parlementaires et relativiser l’influence de certains pays sur la question agricole. En France, le faible score des Républicains affaiblit la position de la France dans le groupe PPE, majoritaire. Le Rassemblement National passe de 18 à 30 eurodéputés et devient l’une des plus grosses délégations nationales. Le parti présidentiel Renaissance obtient moitié moins de sièges que le RN.
Les conséquences de ces résultats, entraînant la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Macron, risquent de fragiliser aussi la position de la France au Conseil européen. Celui-ci, où siègent les dirigeants des Etats membres, doit se réunir fin juin pour désigner celles et ceux qui occuperont les postes clés (présidents de la Commission, du Conseil européen, du Parlement et chef de la diplomatie). Or la France, en tant que premier bénéficiaire de la PAC, était un pays jusqu’ici influent sur les questions agricoles. En Italie, le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, renforce sa position et devient maintenant un enjeu des possibles coalitions pour le PPE.
Le nouveau Parlement va entrer dans une phase politique dense. Les eurodéputés se retrouveront en juillet pour élire leur président et leur vice-président et décider de la composition des commissions permanentes et des sous-commissions du Parlement. La composition de la puissante commission de l’agriculture et du développement rural (Com Agri) sera alors renouvelée. Certains eurodéputés influents sur l’agriculture ont été écartés lors des élections, c’est notamment le cas des français Benoit Biteau (Les Verts), vice-président de la Com Agri lors de la dernière mandature, et Jérémy Decerle (Renew). C’est aussi le cas du roumain Dacian Ciolos (Renew) qui fut le commissaire européen à l’agriculture lors de la réforme de la PAC de 2013. Du côté de la commission environnement (Com Envi), Pascal Canfin (Renew), son ancien président, a été réélu.
Le Parlement européen devrait aussi élire, à la majorité absolue, le président ou la présidente de la Commission européenne, sur proposition du Conseil européen, lors de sa session de septembre. La présidente actuelle, Ursula von der Leyen, fait campagne pour sa propre succession. Les voix du PPE ne suffiront pas pour assurer sa réélection. Les tractations sont à l’œuvre avec les autres groupes allant du bloc socio-démocrate à CRE pour assurer le nombre de voix nécessaires. Le PPE compte aussi sur sa position majoritaire au Parlement pour influer sur la nomination du futur commissaire à l’agriculture.
Les répercussions des élections sur la politique agricole de l’UE
Début 2024, les institutions européennes se sont attelées à une révision des règlements PAC, dans l’urgence et sans étude d’impact, pour tenter de calmer les mobilisations agricoles avant les élections de juin. Cette révision votée à 425 voix pour sur 705 au Parlement a principalement porté sur le détricotage de la conditionnalité des aides PAC. Des mesures qui, pour plusieurs d’entre elles, n’étaient pas encore appliquées à cause notamment des dérogations liées à la guerre en Ukraine. Dans les fermes, rien ne va donc radicalement changer. Il s’agit néanmoins, au niveau de la politique européenne, d’un signal fort vers une mise à l’écart des enjeux environnementaux. Un signal qui s’aligne sur les attaques répétées contre le Green Deal ou encore l’abandon du règlement SUR sur les pesticides. Ces révisions sur les textes juridiques font ainsi perdre des années aux ambitions agro-écologiques de la PAC.
Dans ce contexte, les futures orientations des eurodéputés sont encore incertaines. Elles dépendront des stratégies d’alliance que mettra en œuvre le PPE avec les Verts, S&D ou Renew d’un côté et CRE de l’autre.
Les questions agricoles que devront traiter les nouveaux parlementaires européens seront cruciales. Avenir du Green Deal, nouvelles technologies génomiques, revenu des agriculteurs, accords de libre-échange, bien-être animal… Le traitement de ces sujets devra concilier des enjeux potentiellement contradictoires — transition écologique, compétitivité des entreprises, souveraineté — tout en s’assurant de l’adhésion des citoyennes et citoyens européens. Ce parlement sera aussi chargé de négocier la future réforme de la PAC. Les premières étapes de ce processus débuteront dès les prochains mois avec les négociations sur le Cadre Financier Pluriannuel de l’Union Européenne 2027–2034 qui détermine les grandes masses budgétaires de l’UE, notamment la PAC, et leurs allocations. Une négociation qui sera suivie par la proposition législative de la Commission Européenne, probablement au second semestre 2025. Ces étapes marqueront le début des négociations de la future PAC impliquant le Parlement.
Espérons que la trajectoire prise ces derniers mois sur les dossiers agricoles pourra s’infléchir et permettre d’envisager une future Politique Agricole et Alimentaire Commune réellement à la hauteur des enjeux sociaux et environnementaux.