Le 31 août 2022, la Com­mis­sion européenne adop­tait formelle­ment le Plan Stratégique Nation­al (PSN) français de la Poli­tique Agri­cole Com­mune (PAC). Ce plan est entré en vigueur au 1er jan­vi­er 2023 et les agriculteur·rices ont depuis pu effectuer leurs deman­des d’aides entre le 1er avril et le 15 juin suiv­ant les nou­velles règles. Un an plus tard, quels con­stats peut-on faire de la mise en œuvre de cette nou­velle poli­tique agri­cole sur le ter­ri­toire français ? Une évo­lu­tion du plan d’ici 2027 est-elle encore pos­si­ble ? Quelles per­spec­tives se dessi­nent déjà pour la prochaine PAC post-2027 ? Nous faisons le point dans cet article.

Règles de la nouvelle PAC  : des arbitrages opérés en catimini dans la réglementation nationale

Si le plan français a été adop­té à la fin de l’été 2022, mar­quant la fin d’un long marathon de négo­ci­a­tions entre le gou­verne­ment français et l’exécutif européen, cer­taines modal­ités restaient à définir dans la régle­men­ta­tion nationale par décret ou arrêté. C’est ain­si que cer­taines déci­sions ont échap­pé au fil­tre de l’approbation par la Com­mis­sion. C’est le cas par exem­ple du pour­cent­age min­i­mal de déten­tion de part sociale par les dirigeant·es d’une société pour être considéré·es comme un “agricul­teur act­if” pou­vant béné­fici­er des aides. Ini­tiale­ment annon­cé à 40% par le min­istère de l’Agriculture et de la Sou­veraineté ali­men­taire, ce taux a été réduit à 5% sous le pres­sion du syn­di­cat agri­cole majori­taire, ouvrant ain­si la voie à la finan­cia­ri­sa­tion de l’agriculture¹. Ce cas démon­tre un besoin de vig­i­lance con­cer­nant des dis­po­si­tions pou­vant être arbi­trées en marge des instances de con­cer­ta­tion offi­cielles, mais dont l’impact peut être majeur.

Modifier le PSN en cours de programmation : des possibilités réglementaires nombreuses mais une volonté politique absente

Le PSN peut être révisé une fois par an et trois fois sup­plé­men­taires sur les cinq ans de pro­gram­ma­tion, soit huit fois max­i­mum d’ici 2027. Pour cer­taines mod­i­fi­ca­tions, comme celles impli­quant un trans­fert budgé­taire du pre­mier pili­er (77 % du bud­get glob­al répar­ti entre les agriculteur·rices en fonc­tion de la taille de leur ferme) vers le sec­ond pili­er (dédié au développe­ment rur­al) de la PAC, il fau­dra atten­dre la négo­ci­a­tion de 2025, pour une  entrée en vigueur en 2026. Ces mod­i­fi­ca­tions sont dis­cutées dans une instance chargée de suiv­re la mise en œuvre du PSN au niveau nation­al : le comité de suivi du PSN. Le Col­lec­tif Nour­rir en fait par­tie, comme plusieurs de ses organ­i­sa­tions mem­bres (Con­fédéra­tion Paysanne, Fédéra­tion Nationale d’Agriculture Biologique, France Nature Envi­ron­nement, WWF et Réseau CIVAM). Le règle­ment européen de la PAC prévoit que ce comité se réu­nisse au moins une fois par an et doit per­me­t­tre aux organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles agri­coles et de la société civile d’exercer un droit de regard sur l’application de la PAC et ses mod­i­fi­ca­tions éventuelles.

Réu­ni en févri­er et juil­let 2023, le comité de suivi du PSN n’a pas été appelé à for­muler des propo­si­tions de mod­i­fi­ca­tion pour ce pre­mier exer­ci­ce, mais a plutôt joué le rôle de cham­bre d’enregistrement des mod­i­fi­ca­tions, sans impli­ca­tion poli­tique, soumis­es par les ser­vices du min­istère. Pour la pre­mière mod­i­fi­ca­tion qui entr­era en vigueur en 2024, le min­istère de l’Agriculture et de la Sou­veraine­ment ali­men­taire n’a en effet pas vu grand. Au milieu de cor­rec­tions min­imes sans inci­dences majeures, on peut soulign­er l’a­jout de nou­velles aides dédiées à la struc­tura­tion des organ­i­sa­tions de producteur·rices (appelés pro­grammes opéra­tionnels, jusque-là réservés aux fruits et légumes et désor­mais élar­gis à cer­taines fil­ières d’élevage comme le lapin ou le veau sous la mère).

Le min­istre Marc Fes­neau l’a rap­pelé lors d’un Con­seil Supérieur d’Orientation le 6 juil­let dernier : pour l’instant, il n’y a aucune vel­léité d’ouvrir une dis­cus­sion sur des mod­i­fi­ca­tions sub­stantielles du PSN. Alors qu’il aurait été oppor­tun de fix­er une feuille de route claire aux révi­sions annuelles pour que les évo­lu­tions envis­agées se fassent de manière gradu­elle et prévis­i­ble pour les agriculteur·rices, et alors que la Secré­tari­at Général à la Plan­i­fi­ca­tion Écologique a bien iden­ti­fié le PSN comme un levi­er à action­ner rapi­de­ment pour répon­dre aux défis cli­ma­tiques en agri­cul­ture,  le min­istère ne sem­ble pas vouloir se saisir de ces révi­sions. Les organ­i­sa­tions du Col­lec­tif Nour­rir déplorent unanime­ment le fait que le comité de suivi du PSN ne per­me­tte pas de dis­cuter de ces sujets et ne serve qu’à valid­er des détails tech­niques, en marge de déci­sions plus poli­tiques pris­es dans d’autres cer­cles restreints.

Des données sur les résultats de mise en œuvre qui tardent à être transmises aux parties prenantes

Com­ment les agriculteur·rices se sont-ils sai­sis des nou­velles règles de la PAC ? Ont-ils par exem­ple souscrit mas­sive­ment aux éco-régimes, et si oui, quelles options ont été choisies par­mi celles per­me­t­tant d’avoir droit à cette nou­velle aide envi­ron­nemen­tale ? Peu d’in­for­ma­tions sont disponibles pour per­me­t­tre de répon­dre à ces ques­tions. Marc Fes­neau a seule­ment annon­cé que “plus de 90% des déclarants ont demandé à accéder à l’é­co-régime”, preuve selon lui que la stratégie d’un éco-régime “inclusif” a été effi­cace. Il faut donc encore atten­dre pour con­naître quelles pra­tiques agri­coles ou cer­ti­fi­ca­tion les agriculteur·rices ont choisi de déclar­er pour obtenir ce paiement, mais le chiffre annon­cé mon­tre déjà à quel point la crainte d’un dis­posi­tif trop peu exigeant et donc acces­si­ble à presque tou·tes sans change­ment for­mulée par Pour une autre PAC et récem­ment appuyée par une étude de l’INRAE², se confirme.

Nous pou­vons espér­er que ces don­nées soient trans­mis­es le plus tôt pos­si­ble afin de per­me­t­tre une dis­cus­sion sur les évo­lu­tions néces­saires du PSN, menée sur la base des résul­tats con­crets de sa pre­mière année de mise en œuvre.

PAC post-2027 : certains États pensent déjà au coup d’après

En Alle­magne, les min­istres de l’Agriculture et de l’Environnement avaient déclaré de con­cert début 2022 leur volon­té de voir à terme dis­paraître les paiements directs ver­sés à l’hectare. Si cette volon­té n’a pu se traduire que très par­tielle­ment dans le plan stratégique nation­al alle­mand, dont la négo­ci­a­tion ultime a été menée par la nou­velle coali­tion issue des élec­tions de 2021, l’Allemagne ne perd pas de vue cette ambi­tion en étant la pre­mière à ouvrir le débat sur les grandes ori­en­ta­tions de la PAC post-2027. Pour l’instant, le gou­verne­ment français ne souhaite pas entamer la dis­cus­sion qu’il juge trop pré­coce, et n’a pas réa­gi aux appels du pied for­mulés outre-Rhin.

De son côté, la Com­mis­sion européenne devrait pub­li­er un pre­mier texte d’orientation fin 2023, avant les élec­tions européennes. Un doc­u­ment non con­traig­nant dont la future Com­mis­sion européenne pour­ra faire abstrac­tion au moment de l’élaboration de sa propo­si­tion lég­isla­tive, prévue pour l’année 2025.

 


¹ Il sera ainsi théoriquement possible de rentrer dans le capital d’une société, d’en prendre un contrôle largement majoritaire, de mettre à la tête de l’exploitation un·e gérant·e, possédant seulement 5% des parts, et de toucher des aides PAC, ainsi que tous les droits afférents à la qualité d’agriculteur actif (soutiens publics, fiscalité…). Pour une analyse plus approfondie, voir ici.
² Selon cet article récent de l’INRAE, l’accès au niveau standard de l’éco-régime n’induit aucune amélioration de pratique pour 99,6% des exploitations agricoles métropolitaines.