Le pro­jet de loi d’orientation agri­cole sera voté demain à l’Assemblée Nationale après deux semaines de débat. Mal­gré de mai­gres avancées sur le volet instal­la­tion-trans­mis­sion, le texte reste large­ment insuff­isant sur les volets sou­veraineté ali­men­taire, tran­si­tion agroé­cologique, fonci­er et revenu, et mar­que des reculs his­toriques en matière de pro­tec­tion de l’environnement. Le Col­lec­tif Nour­rir appelle les séna­teurs à rec­ti­fi­er la tra­jec­toire de toute urgence lors des débats à venir. La faib­lesse du pro­jet de loi démon­tre par ailleurs le besoin de textes com­plé­men­taires pour répon­dre effi­cace­ment aux crises agri­cole, ali­men­taire et envi­ron­nemen­tale aux­quelles sont con­fron­tés les paysans et les citoyens.

 

“Plus d’un an et demi après le lance­ment du proces­sus, six mois de con­cer­ta­tions, des reports mul­ti­ples, et seule­ment quelques mois après les mobil­i­sa­tions agri­coles, ce texte n’est de toute évi­dence pas à la hau­teur des enjeux. Le peu d’améliorations obtenues par un tra­vail sans relâche des organ­i­sa­tions paysannes et citoyennes et de cer­tains députés ne com­penseront pas la tra­jec­toire délétère qui s’annonce : une agri­cul­ture avec de moins en moins de paysans et inca­pable de répon­dre aux défis con­joints de la sou­veraineté ali­men­taire et de la tran­si­tion agroé­cologique” con­state Clotilde Bato, co-prési­dente du Col­lec­tif Nourrir.

 

Une analogie nocive entre souveraineté alimentaire et course aux rendements

Le pre­mier arti­cle du texte de loi pose une vision de la sou­veraineté ali­men­taire en con­tra­dic­tion avec la déf­i­ni­tion de l’ONU et les attentes citoyennes et paysannes : des sys­tèmes ali­men­taires locaux qui s’appuient sur une agri­cul­ture durable et résiliente. La réécri­t­ure de cet arti­cle, négo­ciée entre la majorité et la droite, ne fait qu’en­tériner une vision pro­duc­tiviste, notam­ment en matière d’élevage, et exclut le développe­ment de fil­ières ali­men­taires ancrées dans les ter­ri­toires. Dépen­dance accrue aux impor­ta­tions (d’engrais, de soja, de gaz), développe­ment de fil­ière dédiées aux expor­ta­tions plutôt qu’aux besoins ali­men­taires locaux et au détri­ment de la sou­veraineté ali­men­taire des pays tiers, vul­néra­bil­ité face à l’instabilité des marchés inter­na­tionaux, con­cur­rence déloyale : cette vision encour­age un sys­tème frag­ile et néfaste pour les agricul­teurs en France et partout dans le monde. La ten­ta­tive de sup­pres­sion des objec­tifs de développe­ment de sur­face en agri­cul­ture biologique et en pro­téines végé­tales est égale­ment un sig­nal haute­ment négatif. Leur réin­tro­duc­tion plus loin dans le texte, sous la pres­sion médi­a­tique et de plusieurs députés, laisse plan­er le doute quant à la volon­té réelle du gou­verne­ment d’avoir des sys­tèmes adap­tés et résilients. D’autant plus quand, dans le même temps, est con­sacrée la notion d’intérêt général majeur pour l’agriculture, pou­vant laiss­er sup­pos­er un car­ac­tère pri­or­i­taire sur l’environnement.

 

Accompagnement des nouveaux agriculteurs : un cadre pluraliste mais rien sur le foncier

Les députés ont acté que France Ser­vices Agri­cul­ture (FSA), le nou­veau dis­posi­tif d’accompagnement des agricul­teurs pro­posé par le gou­verne­ment, devra val­oris­er le principe de plu­ral­isme des acteurs pour guider les futurs agricul­teurs lors de leur instal­la­tion. Les cham­bres d’agriculture, à qui l’ac­cueil des por­teurs de pro­jet et cédants est con­fié au sein du FSA, auront par ailleurs un  devoir de neu­tral­ité. Il s’agit d’un pre­mier levi­er de recon­nais­sance des organ­i­sa­tions paysannes sou­tenant l’agroécologie qui accom­pa­g­nent aujourd’hui 1/3 des instal­la­tions agri­coles, mal­gré un appui insuff­isant de la part des pou­voirs publics. Pour autant, le plu­ral­isme et la neu­tral­ité risquent sans garanties sup­plé­men­taires d’être empêchés par le fonc­tion­nement même des cham­bres d’agriculture, en rai­son des règles de scrutin et de finance­ment des organ­i­sa­tions agri­coles. Si l’inscription d’un objec­tif de nom­bre de fer­mes cibles (400 000 fer­mes et 500 000 exploitants) va dans le bon sens, le strict rem­place­ment des départs par des instal­la­tions ne suf­fi­ra pas pour relever les enjeux de la tran­si­tion agri­cole et ali­men­taire. Les députés ont égale­ment recon­nu la néces­sité de tra­vailler sur des mesures fon­cières, toute­fois ren­voyées à une future loi. Une réforme de la régu­la­tion fon­cière est demandée depuis plus de 10 ans par la majorité des acteurs du monde agri­cole. Son absence de ce pro­jet de loi con­stitue donc une carence majeure. 

 

Des régressions majeures pour l’environnement et la transition agroécologique

Alors que la tran­si­tion écologique est une préoc­cu­pa­tion majeure pour 85 % des agricul­teurs, le texte approu­ve des reculs envi­ron­nemen­taux alar­mants. Il vient d’abord dépé­nalis­er les atteintes aux espèces et espaces naturels pro­tégés, qu’elles soient com­mis­es par des agricul­teurs, des forestiers, des chas­seurs ou des pro­mo­teurs d’énergie. Pour sanc­tion­ner l’atteinte, il fau­dra prou­ver l’intentionnalité de l’acte, une brèche juridique dan­gereuse allant aggraver la dégra­da­tion de la bio­di­ver­sité sur le ter­ri­toire.  Le texte vient aus­si accélér­er les recours en cas de con­tentieux sur les méga-bassines et les pro­jets d’in­dus­tri­al­i­sa­tion de l’élevage. Des mesures anachroniques et préju­di­cia­bles aux­quelles s’ajoute l’affaiblissement de l’unique propo­si­tion de tran­si­tion du gou­verne­ment au sein du pro­jet de loi. Le diag­nos­tic d’évaluation de la via­bil­ité envi­ron­nemen­tale des fer­mes sera en effet fac­ul­tatif, sans con­di­tion­nal­ité pour les aides publiques et sans garantie de finance­ment par l’État. Des choix qui mar­quent une régres­sion con­sid­érable sur le plan envi­ron­nemen­tal, incom­pat­i­ble avec l’urgence cli­ma­tique et l’effondrement de la biodiversité.

 

“Nous appelons les séna­teurs à faire preuve de respon­s­abil­ité : aucun recul sup­plé­men­taire ne peut être per­mis. Suite à la fin des débats à l’Assem­blée nationale, une chose est sûre : ce texte est déjà l’an­tithèse d’une loi d’ori­en­ta­tion. Rien ne per­me­t­tra d’allier les défis cen­traux que sont le renou­velle­ment des généra­tions, la tran­si­tion et la sou­veraineté ali­men­taire. Il est urgent de traiter enfin du fonci­er et du revenu et de s’atteler à une révi­sion en pro­fondeur de la Poli­tique agri­cole com­mune pour ori­en­ter nos poli­tiques et finance­ments publics en faveur de la tran­si­tion agroé­cologique” souligne Math­ieu Courgeau, co-prési­dent du Col­lec­tif Nourrir.

 

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