Du 12 au 14 sep­tem­bre 2023, se tient à Rennes le salon inter­na­tion­al des pro­duc­tions ani­males : le SPACE. Cette année encore, ce salon dédié aux pro­fes­sion­nels se veut la vit­rine des dernières nou­veautés en matière de “solu­tions” pour le secteur de l’élevage. “Coup de pro­jecteur sur la Bre­tagne et le Grand Ouest” peut-on enten­dre dans la vidéo pro­mo­tion­nelle du salon ; car effec­tive­ment, c’est bien le mod­èle d’élevage pro­duc­tiviste dom­i­nant dans ces régions que l’on retrou­ve majori­taire­ment dans ce salon et par­mi ses 1200 exposant·es. 

« Numérique, robo­t­ique, géné­tique » sont les piliers de la « troisième révo­lu­tion agri­cole » voulue par Emmanuel Macron. Au SPACE, cette ambi­tion de révo­lu­tion tech­nologique  dans le secteur de l’élevage est omniprésente. Les inno­va­tions mis­es à l’honneur affichent l’objectif de répon­dre aux grands défis de demain : l’amélio­ra­tion du bien-être ani­mal et de l’état de l’environnement, mais aus­si la réduc­tion de la péni­bil­ité du tra­vail pour l’humain (agriculteur·rice, mais aus­si ouvrier·ère en abat­toir par exemple).

Ces inno­va­tions tien­nent-elles leurs promess­es ? Que veu­lent-elles dire de l’évolution actuelle des mod­èles d’élevage ?

Technologies en élevage, de quoi parle-t-on ?

Les sys­tèmes numériques et robo­t­iques, ain­si que les inno­va­tions géné­tiques sont régulière­ment, et de manière crois­sante, présen­tés comme des solu­tions mir­a­cles face aux défis du secteur agri­cole. Par­mi les tech­nolo­gies bien con­nues en éle­vage, il con­vient en pre­mier lieu de men­tion­ner le désor­mais répan­du robot de traite, qui tend à rem­plac­er les machines en salle de traite néces­si­tant encore la présence du paysan. Fin 2020, l’Hexagone comp­tait 14 000 robots agri­coles en ser­vice, dont 80 % pour la traite des vach­es : 7 500 exploita­tions laitières sont désor­mais équipées soit un éle­vage sur cinq et c’est désor­mais 58 % des nou­velles instal­la­tions de traite qui sont robo­t­isées. De plus en plus adop­té donc (mal­gré un coût avoisi­nant sou­vent les 200 000 €), ses effets sur un poten­tiel retrait voire aban­don du pâturage font pour­tant débat. Le robot de traite n’est qu’un exem­ple des mul­ti­ples ser­vices, sou­vent très coû­teux, dans lesquels les éleveur·ses sont désor­mais invité·es à inve­stir. Les auto­mates envahissent les éta­bles, mais aus­si les éle­vages de volaille et de porcs : robots pailleurs, laveur, aéra­teurs de litière ou d’alimentation, aucune fonc­tion ne sem­ble échap­per au champ de la robotique.

S’inscrivant dans cette ten­dance à la pro­mo­tion du “ robo­t­ique, géné­tique, numérique”, chaque année le SPACE décerne ain­si le prix Innov’Space et récom­pense une inno­va­tion en matière d’élevage. Par­mi les lau­réats en 2023 : robot aspi­ra­teur de lisi­er porcin, ali­men­ta­tion réduisant les émis­sions de méthane, murs chauf­fants cen­sés amélior­er le con­fort dans les porcheries, index de per­for­mance géné­tique, etc. L’année passée par exem­ple, le prix d’innovation a été décerné à la société Copeeks, qui pro­pose des sys­tèmes d’observation et de sur­veil­lance en con­tinu dans les bâti­ments d’élevage, cen­sée mesur­er en temps réel les évo­lu­tions de l’ambiance et du com­porte­ment des animaux.

L’innovation, numérique notam­ment, n’est évidem­ment pas totale­ment absente de la majorité des fer­mes. Les sys­tèmes infor­ma­tiques peu­vent apporter de nom­breux ser­vices dans les fer­mes, pour la ges­tion de l’exploitation et la com­mer­cial­i­sa­tion des pro­duits, la ges­tion des achats ou encore le partage de con­nais­sances. Mais jusqu’où la tech­nolo­gie reste-t-elle réelle­ment au ser­vice du méti­er de paysan·ne ? Large­ment dimin­uée ces dernières années (notam­ment grâce à la mécan­i­sa­tion), la réduc­tion de la péni­bil­ité du tra­vail en agri­cul­ture reste une préoc­cu­pa­tion majeure. Le développe­ment mas­sif des tech­nolo­gies per­met-il réelle­ment de répon­dre à cet enjeu ?

L’inflation technologique cause et conséquence de l’industrialisation de l’élevage

Loin d’être opposé à l’innovation en tant que telle, le Col­lec­tif Nour­rir prône un devoir de vig­i­lance con­cer­nant le sou­tien récent et mas­sif de l’État à ces tech­nolo­gies (via la Plan de relance notam­ment), dont l’ef­fi­cac­ité en matière de tran­si­tion ne repose sur aucune étude indépen­dante, et dont on sait déjà qu’elles peu­vent frag­ilis­er les fer­mes : dépen­dance accrue, stan­dard­i­s­a­tion, suren­det­te­ment des agriculteur·rices et fer­mes ren­dues dif­fi­cile­ment trans­mis­si­bles en rai­son d’une surcapitalisation.

Plus par­ti­c­ulière­ment en éle­vage, face à un méti­er qui sem­ble astreignant, l’automatisation de cer­tains procédés peut certes apporter un con­fort pré­cieux. Néan­moins, comme l’expliquait Marine Benoiste du Réseau CIVAM dans un arti­cle du Monde “le numérique peut se révéler comme une nou­velle forme de dépen­dance : alarmes stres­santes, dys­fonc­tion­nements anx­iogènes, besoin de faire appel à des tech­ni­ciens pour pal­li­er à la moin­dre défail­lance du système.”

En matière d’environnement et de bien-être ani­mal, il est impor­tant de nuancer les promess­es de cer­taines tech­nolo­gies, tant leur développe­ment sem­ble intrin­sèque­ment lié à celui des sys­tèmes indus­triels, généra­teurs de pol­lu­tion et de mau­vais traite­ments des ani­maux. Si l’amélioration du bien-être ani­mal en éle­vage passe en grande par­tie par l’accès extérieur et la réduc­tion des den­sités en bâti­ment, l’installation de sys­tème de sur­veil­lance visant à détecter des com­porte­ment symp­tômes de mal-être ne remet pas en cause les lim­ites des sys­tèmes hors-sol. Ain­si, la tech­nolo­gie sem­ble être le moyen de col­mater les brèch­es de sys­tèmes qui mon­trent leurs lim­ites du point de vue de l’acceptabilité aus­si bien dans les cam­pagnes (préoc­cu­pa­tions san­i­taires et envi­ron­nemen­tales) que vis-à-vis des con­som­ma­teurs (rejet de cer­taines con­di­tions d’élevages délétères pour les animaux).

Les fer­mes qui s’apparentent de plus en plus à des usines, sur-dimen­sion­nées et stan­dard­is­ées, génèrent elles-mêmes ces besoins d’automatisation, de sur­veil­lance et de con­trôle. Ne faudrait-il pas mieux priv­ilégi­er des sys­tèmes à taille humaine pour assur­er que le bien-être des ani­maux et l’état des l’environnement soit le résul­tat de l’ob­ser­va­tion, de l’attention et du tra­vail effec­tué par les paysan·nes sur leur ferme, per­me­t­tant par la même autonomie, adapt­abil­ité et résilience ?

Ain­si, on voit à quelle point la ques­tion des tech­nolo­gies nous pose con­crète­ment celle, plus générale, des mod­èles d’élevage que nous voulons pour demain. Pour le Col­lec­tif Nour­rir, la réponse est claire : il est indis­pens­able de soutenir les éle­vages paysans (dont ceux en agri­cul­ture biologique), ce qui passera inévitable­ment par la lutte con­tre l’industrialisation de l’élevage.

 

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