Tout au long des négo­ci­a­tions sur le Plan Stratégique Nation­al (PSN) de la Poli­tique Agri­cole Com­mune (PAC) en France, le Col­lec­tif Nour­rir n’a cessé de deman­der l’amélioration de cette poli­tique régis­sant la dis­tri­b­u­tion des 9 mil­liards d’eu­ros de sub­ven­tions européennes ver­sées annuelle­ment aux agricul­teurs français. Mais en dépit des cri­tiques for­mulées par la Com­mis­sion européenne elle-même à l’égard du plan français et du manque d’ambition envi­ron­nemen­tale con­traire aux lég­is­la­tions de l’UE, ce dernier a finale­ment été approu­vé le 31 août dernier. En con­séquence, Clien­tEarth et le Col­lec­tif Nour­rir pour­suiv­ent l’Union européenne en jus­tice et ont déposé une plainte devant la Cour de jus­tice de l’U­nion européenne le 17 juillet.

Plans Stratégiques Nationaux de la PAC : davantage de pouvoir aux États membres, sans garde-fou ?

Dans le cadre de la PAC, chaque pays de l’UE est tenu d’éla­bor­er un Plan Stratégique Nation­al détail­lant la manière dont les sub­ven­tions seront util­isées pour attein­dre les objec­tifs de la PAC. La Com­mis­sion est chargée d’é­val­uer et d’ap­prou­ver les plans nationaux avant leur adop­tion. En novem­bre dernier, le Col­lec­tif Nour­rir et Clien­tEarth ont déposé une demande de réex­a­m­en de la déci­sion d’approbation du PSN français, sou­tenant que la Com­mis­sion européenne n’aurait pas dû approu­ver le PSN français en l’état, celui-ci ne répon­dant pas aux stan­dards envi­ron­nemen­taux min­i­mums exigés par le Règle­ment européen de la PAC. La Com­mis­sion a défendu sa déci­sion dans une  réponse adressée le 5 mai. Plutôt que de jus­ti­fi­er le bien-fondé de l’approbation du PSN sur le fond, la Com­mis­sion indique qu’elle avait un pou­voir lim­ité pour ori­en­ter les PSN étant don­né le pou­voir dis­cré­tion­naire dont dis­posent les États mem­bres pour allouer leurs sub­ven­tions comme ils l’en­ten­dent. Nous soutenons que ce refus de réé­val­uer sa déci­sion d’approbation du PSN français va à l’en­con­tre de son oblig­a­tion légale de faire respecter ses pro­pres lois envi­ron­nemen­tales et le cadre com­mun de la PAC. La Com­mis­sion européenne a le devoir de s’as­sur­er que l’ar­gent des con­tribuables est util­isé pour attein­dre ces objec­tifs en faisant en sorte que les sub­ven­tions ver­sées sou­ti­en­nent des pra­tiques agri­coles durables.

Pour Lara Forn­abaio, juriste à Clien­tEarth, “La crise cli­ma­tique et l’effondrement de la bio­di­ver­sité font déjà des rav­ages dans nos sys­tèmes ali­men­taires, avec notam­ment de graves sécher­ess­es et inon­da­tions qui dévas­tent les récoltes, mais aus­si un déclin net des pollinisa­teurs. Pour avoir une chance de con­tin­uer à nous nour­rir demain, le sys­tème agri­cole et ali­men­taire européen doit impéra­tive­ment chang­er. Le pou­voir financier impor­tant de la PAC sig­ni­fie qu’elle a la capac­ité d’assurer le fonc­tion­nement pérenne du secteur agri­cole et ali­men­taire, en encour­ageant sa con­tri­bu­tion à la réal­i­sa­tion des objec­tifs cli­ma­tiques et envi­ron­nemen­taux de l’UE. Mais si la Com­mis­sion n’est pas con­va­in­cue elle-même de sa capac­ité à assur­er ce cadre com­mun ambitieux, et de veiller à ce que les pays con­sacrent cet argent à des pra­tiques agri­coles durables et résis­tantes, qui demande aux gou­verne­ments de ren­dre des comptes ?”

L’action en justice, dernier rempart contre la faiblesse du plan français

Pour Math­ieu Courgeau, co-prési­dent du Col­lec­tif Nour­rir, “Le manque d’am­bi­tion glob­al du PSN français est depuis longtemps dénon­cé par les organ­i­sa­tions du Col­lec­tif Nour­rir. Elles n’ont cessé de faire des propo­si­tions pour par­venir à un PSN répon­dant aux enjeux de meilleure répar­ti­tion des aides, d’environnement, de bien-être ani­mal, mais aus­si d’impact sur les pays du Sud. La plainte déposée représente l’ultime ten­ta­tive pour faire en sorte que la PAC réponde enfin aux préoc­cu­pa­tions sociales et envi­ron­nemen­tales des citoyens européens. Si nous ciblons le plan français, notre démarche vise plus glob­ale­ment à ce que la Com­mis­sion soit en mesure d’assurer un niveau d’ambition élevé pour les PSN de l’ensemble des États membres.

Les dernières actu­al­ités démon­trent à quel point il est néces­saire de cor­riger le tir pour met­tre le PSN au ser­vice de la trans­for­ma­tion de notre sys­tème agri­cole. Dans son rap­port pub­lié le 29 juin, le Haut Con­seil pour le cli­mat déplore une fois de plus le “faible niveau d’ambition des mesures du PSN face aux objec­tifs cli­ma­tiques et l’absence de per­spec­tive d’ensemble pour l’avenir de l’élevage”. Quant à nos cri­tiques sur le nou­v­el éco-régime cen­sé verdir la PAC, elles sont encore une fois con­fir­mées par un arti­cle récent de l’INRAE démon­trant notam­ment que “99,6% des exploita­tions agri­coles mét­ro­pol­i­taines (…) peu­vent (…) accéder au niveau stan­dard du paiement sans aucune mod­i­fi­ca­tion de leurs pra­tiques”.

Une audi­ence au Tri­bunal pour­rait avoir lieu d’i­ci fin 2024, pour un arrêt ren­du en 2025. Nous espérons que celui-ci oblig­era la Com­mis­sion à réé­val­uer le plan stratégique français et, in fine, appellera la France à l’améliorer. Pour le Col­lec­tif Nour­rir, la PAC reste indis­pens­able pour soutenir les agricul­teurs, mais elle doit répon­dre de façon courageuse aux défis cli­ma­tiques, envi­ron­nemen­taux et socio-économiques que ces derniers vont devoir affron­ter. A l’heure où le volet agri­cole de la plan­i­fi­ca­tion écologique est dis­cuté, la demande de révi­sion du PSN dès 2024, afférente à notre démarche juridique, appa­raît d’autant plus indispensable. 

 

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À pro­pos de Clien­tEarth

Clien­tEarth est une organ­i­sa­tion à but non lucratif qui utilise la loi pour créer un change­ment sys­témique qui pro­tège la Terre pour — et avec — ses habi­tants. Nous lut­tons con­tre le change­ment cli­ma­tique, pro­té­geons la nature et stop­pons la pol­lu­tion, avec des parte­naires et des citoyens du monde entier. Nous tenons l’in­dus­trie et les gou­verne­ments respon­s­ables et défendons le droit de cha­cun à un monde sain. Depuis nos bureaux en Europe, en Asie et aux États-Unis, nous façon­nons, met­tons en œuvre et appliquons la loi, pour con­stru­ire un avenir pour notre planète dans lequel les gens et la nature peu­vent prospér­er ensemble.

Clien­tEarth est une organ­i­sa­tion à but non lucratif qui utilise la loi pour créer un change­ment sys­témique qui pro­tège la Terre pour — et avec — ses habi­tants. Nous lut­tons con­tre le change­ment cli­ma­tique, pro­té­geons la nature et stop­pons la pol­lu­tion, avec des parte­naires et des citoyens du monde entier. Nous tenons l’in­dus­trie et les gou­verne­ments respon­s­ables et défendons le droit de cha­cun à un monde sain. Depuis nos bureaux en Europe, en Asie et aux États-Unis, nous façon­nons, met­tons en œuvre et appliquons la loi, pour con­stru­ire un avenir pour notre planète dans lequel les gens et la nature peu­vent prospér­er ensemble.

Le Col­lec­tif Nour­rir est une plate­forme française inter-organ­i­sa­tions con­sti­tu­ant un espace com­mun de réflex­ion et d’action, œuvrant à la refonte du sys­tème agri­cole et ali­men­taire. Rassem­blant des organ­i­sa­tions paysannes et citoyennes français­es, le Col­lec­tif tra­vaille à la mise en place de poli­tiques agri­coles et ali­men­taires justes, démoc­ra­tiques et écologiques, afin d’assurer notre sou­veraineté ali­men­taire, garan­tir le respect du Droit à l’alimentation, per­me­t­tre aux pro­duc­teurs et pro­duc­tri­ces de vivre de leur méti­er, et favoris­er les dynamiques du vivant.

FAQ

Con­traire­ment aux États mem­bres et aux entre­pris­es, les ONG n’ont pas d’ac­cès direct à la Cour de Jus­tice de l’U­nion européenne (CJUE). Pour soumet­tre un cas comme celui d’au­jour­d’hui, ils doivent d’abord accom­plir une étape admin­is­tra­tive con­nue sous le nom de requête en réex­a­m­en interne”. 

Elle est per­mise par la con­ven­tion d’Aarhus, qui autorise des organ­i­sa­tions de la société civile à deman­der le réex­a­m­en d’actes admin­is­trat­ifs non lég­is­lat­ifs adop­tés par une insti­tu­tion ou un organe de l’UE, si ces actes ont des effets juridiques et extérieurs, et qu’ils con­ti­en­nent des dis­po­si­tions sus­cep­ti­bles d’aller à l’en­con­tre du droit de l’environnement.

Ain­si, la procé­dure Aarhus ne per­met pas au requérant de soulever pleine­ment les lim­ites du PSN français en matière de redis­tri­b­u­tion et d’équité entre les fer­mes, bien qu’elles soient nom­breuses. Si la majorité des argu­ments mobil­isés dans la requête interne sont d’ordre envi­ron­nemen­tal, le Col­lec­tif Nour­rir et Clien­tEarth appel­lent tout autant à une PAC plus juste qu’à une PAC plus verte.

Cette pre­mière étape de requête interne a été réal­isée en novem­bre 2022. La Com­mis­sion a répon­du de manière insat­is­faisante en mai 2023. Les ONG con­tes­tent désor­mais la réponse de la Com­mis­sion devant la CJUE.

Un arrêt de la CJUE deman­dant à la Com­mis­sion de réex­am­in­er la déci­sion d’ap­pro­ba­tion de la PAC française et, par con­séquent, une oblig­a­tion pour la France de mod­i­fi­er cer­tains élé­ments de son PSN.

La déci­sion ren­due par la CJUE pour­rait avoir des con­séquences poli­tiques impor­tantes. Elle per­me­t­trait de clar­i­fi­er notam­ment les pou­voirs de la Com­mis­sion lors de l’é­val­u­a­tion et de l’ap­pro­ba­tion des PSN soumis par tous les États mem­bres, ain­si que démon­tr­er que la  gou­ver­nance mise en place par la nou­velle PAC n’est pas adéquate pour accom­pa­g­n­er la tran­si­tion du secteur agricole. 

Ain­si, ce recours sera une occa­sion de remet­tre la ques­tion de la gou­ver­nance et des garde-fous néces­saires à une rena­tion­al­i­sa­tion accrue de la PAC à l’agenda des dis­cus­sions sur la PAC post-2027.

Clien­tEarth et Col­lec­tif Nour­rir se sont con­cen­trés sur trois dimen­sions du PSN français pour démon­tr­er sa non-con­for­mité aux objec­tifs de la PAC :

  1. Les mesures de sou­tien à l’él­e­vage bovin, qui ne favorisent pas une réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre (en par­ti­c­uli­er le méthane) en ne ciblant pas suff­isam­ment les aides sur les éle­vages durables ;
  2. Les aides finan­cières accordées aux mesures des­tinées à réduire l’u­til­i­sa­tion des pes­ti­cides et des engrais qui sont insuff­isantes pour favoris­er la baisse de leurs usages avec des con­séquences néfastes notam­ment pour les mass­es d’eau françaises ;
  3. Les exi­gences d’ob­ten­tion d’un sou­tien financier par le biais de la PAC pour main­tenir et préserv­er la bio­di­ver­sité qui n’inci­tent pas les agricul­teurs à adopter des pra­tiques plus respectueuses.

Sur le pre­mier point, nous met­tons en avant le fait que les con­di­tions d’ac­cès à l’aide cou­plée bovine ne sont pas suff­isam­ment strictes pour encour­ager effi­cace­ment l’ex­ten­si­fi­ca­tion et les mod­èles herbagers (iden­ti­fiés pour­tant comme béné­fiques pour le cli­mat par la France elle-même dans son PSN).

Con­cer­nant les deux derniers points, Clien­tEarth et le Col­lec­tif Nour­rir ont large­ment mis en avant l’insuffisance du bud­get pour les mesures per­ti­nentes, comme les mesures agro-envi­ron­nemen­tales et cli­ma­tiques (MAEC), ou le sou­tien des fer­mes en agri­cul­ture biologique, mais surtout l’inopérance totale de cer­taines mesures comme l’éco-régime (et notam­ment la voie de la cer­ti­fi­ca­tion mobil­isant le label HVE), ain­si que des critères de la con­di­tion­nal­ité environnementale.

La Com­mis­sion a refusé de revoir le PSN aux motifs que “dans l’ensemble”, les inter­ven­tions prévues sont con­formes aux objec­tifs envi­ron­nemen­taux et cli­ma­tiques de la nou­velle PAC bien que cer­taines inter­ven­tions pris­es isolé­ment ne sem­blent pas aug­menter le niveau d’ambition cli­ma­tique ; et qu’en tout état de cause, les États mem­bres dis­posent d’une large lib­erté dans l’adoption de leurs plans.

Face aux craintes d’une rena­tion­al­i­sa­tion accrue de la PAC for­mulées dès 2018, la Com­mis­sion avait elle-même ten­té de ras­sur­er en indi­quant que la plus grande part de flex­i­bil­ité dont béné­fi­cient les États mem­bres serait en corol­laire, accom­pa­g­née d’une exi­gence accrue des résul­tats leur incom­bant. Le rôle assigné à la Com­mis­sion dans le proces­sus d’approbation des PSN était donc de s’assurer que cette nou­velle sub­sidiar­ité ne mette pas en péril le car­ac­tère com­mun de la PAC. Nous affir­mons que cette garantie n’a pas été apportée et que cette gou­ver­nance défail­lante a don­né lieu à des plans nationaux de la PAC non con­formes au règlement.

Clien­tEarth et le Col­lec­tif Nour­rir sou­ti­en­nent que le rôle de la Com­mis­sion, con­féré par la régle­men­ta­tion rel­a­tive à la PAC, est bien de con­trôler que les PSN respectent les objec­tifs ain­si que la régle­men­ta­tion cli­ma­tique et envi­ron­nemen­tale européenne. La Com­mis­sion doit opér­er un con­trôle effec­tif et ne peut se con­tenter d’ajustements à la marge effec­tués par les États. C’était notam­ment le cas lorsque la Com­mis­sion avait précédem­ment affir­mé, dans sa let­tre d’observation, que les pro­jets de plans étaient insuff­isants, comme pour le PSN français. 

Non, la déci­sion du CJUE pour­rait enjoin­dre la Com­mis­sion à exiger une mod­i­fi­ca­tion du PSN français pour rehauss­er l’ambition envi­ron­nemen­tale, mais la déci­sion n’au­rait pas d’effet rétroac­t­if et n’en­traîn­era donc ni une “annu­la­tion” du PSN ni oblig­a­tion de rem­bourse­ment ou de sus­pen­sion des paiements aux agriculteurs.

La procé­dure devant la CJUE dur­era env­i­ron deux ans. Nous espérons une audi­ence de plaidoiries avant la fin de l’année 2024 et un juge­ment en 2025. 

Un appel devant la CJUE sera pos­si­ble et cette procé­dure peut dur­er deux ans et demi. La Com­mis­sion n’aura pas de délai strict pour revoir sa déci­sion d’approuver le PSN français, si elle y est con­damnée, mais devra se con­former au juge­ment dans les meilleurs délais.

A court-terme (dès 2024) : 

  1. hausse de l’ambition envi­ron­nemen­tale des éco-régimes, en reval­orisant l’éco-régime bio à 145 euros, et en aug­men­tant le bonus haies
  2. mod­i­fi­ca­tion des aides cou­plées ani­males pour favoris­er les pra­tiques durables (abaisse­ment du pla­fond d’UGB primables en con­trepar­tie d’une reval­ori­sa­tion du mon­tant uni­taire et intro­duc­tion d’un lien au pâturage dans les critères d’attribution)
  3.  aug­men­ta­tion de l’enveloppe du paiement redistributif

A moyen-terme (en 2025) :

  1. ren­force­ment des critères de con­di­tion­nal­ité envi­ron­nemen­tale (critère de rota­tion des cul­tures dans la BCAE 7
  2. part min­i­male de 4% d’infrastructures agroé­cologiques oblig­a­toire dans la BCAE 8
  3. aug­men­ta­tion du taux de trans­fert en 2025 (comme autorisé par le règle­ment à par­tir de la révi­sion de 2025) pour abon­der l’enveloppe des Mesures Agro-envi­ron­nemen­tales et Cli­ma­tiques (MAEC) sur le sec­ond pilier
  4. mod­i­fi­ca­tion de la voie “pra­tique“ des éco-régimes pour les sur­faces en prairies / par­cours, afin d’inclure des critères val­orisant le pâturage et le plein air (critère fondé sur le pour­cent­age d’herbe dans la sur­face four­ragère prin­ci­pale dont une part de prairies per­ma­nentes, inci­tant ain­si au vieil­lisse­ment des prairies et avec un objec­tif de mise au pâturage des animaux)