Le proces­sus “démoc­ra­tique” engagé début jan­vi­er autour du Pacte et de la Loi d’Ori­en­ta­tion et d’Avenir Agri­coles (PLOAA) laisse, à ce jour, un goût amer aux organ­i­sa­tions de la société civile engagées dans les con­cer­ta­tions. Con­sul­ta­tion éclair des citoyens, instances ver­rouil­lées, acteurs de ter­rain oubliés…, les dif­férentes con­sul­ta­tions organ­isées au nation­al ou en régions lais­sent présager d’une inten­tion de négo­ci­a­tion avec le seul syn­di­cat dom­i­nant. Alors qu’elles accom­pa­g­nent aujourd’hui plus d’un tiers des instal­la­tions agri­coles, les organ­i­sa­tions mem­bres du Col­lec­tif Nour­rir appel­lent le gou­verne­ment à respecter le débat démoc­ra­tique. Nous appelons à une réelle prise en compte des propo­si­tions portées par la société civile, les paysans et les citoyens pour faire du PLOAA un levi­er de la tran­si­tion agroécologique.

Les modalités d’organisation et les premiers résultats des concertations régionales incarnent le corporatisme persistant au sein du monde agricole.

Le pilotage des con­cer­ta­tions régionales, dont la dernière a eu lieu le 3 mai dernier, a été con­fié aux Cham­bres d’agriculture (très majori­taire­ment admin­istrées par le syn­di­cat dom­i­nant, la FNSEA). Avec quelles exi­gences de trans­parence et quelle représen­ta­tiv­ité de la diver­sité des acteurs ? Pra­tique­ment aucune, durant les six mois de con­cer­ta­tion, calqués sur le fonc­tion­nement et les moyens des acteurs tra­di­tion­nels de la pro­fes­sion agricole.

  • En Pays de la Loire, l’ARDEAR, asso­ci­a­tion forte­ment engagée sur l’accompagnement à l’installation sur le ter­ri­toire, s’est dans un pre­mier temps vu refuser sa par­tic­i­pa­tion à la table des discussions ;
  • En Nor­mandie, le Réseau CIVAM a dû rédi­ger plusieurs cour­ri­ers afin d’obtenir un siège pen­dant que les représen­tants Jeunes Agricul­teurs (JA) et FNSEA se voy­aient inviter à une réu­nion de pré­pa­ra­tion “offi­cieuse”  avec la Cham­bre d’agriculture.
  • Dans d’autres régions, les mem­bres du Pôle InPACT étaient priés de se rassem­bler et d’en­voy­er seule­ment deux représen­tants pour l’ensem­ble des struc­tures (alors qu’ils sont env­i­ron une dizaine par pôle).

En fin de proces­sus, l’organisation du vote des pri­or­ités régionales (remon­tées au niveau nation­al) a encore une fois con­fir­mé la dif­férence de traite­ment entre les acteurs représen­tés. En Auvergne-Rhône-Alpes et en Bour­gogne-Franche-Comté, la sélec­tion des propo­si­tions soumis­es au vote (retrait de propo­si­tions envoyées en ligne sans pos­si­bil­ité pour les auteurs d’argumenter) et la méth­ode d’animation du vote (pas d’homogénéisation selon les groupes de tra­vail, ni les régions) ont engen­dré un décalage impor­tant dans la représen­ta­tiv­ité des dif­férents acteurs.

“Lors d’un groupe de tra­vail, la Cham­bre n’a retenu qu’une voix pour toutes les struc­tures mem­bres du CELAVAR en Auvergne Rhône-Alpes, alors que nous avons par­ticipé aux dif­férentes réu­nions à plusieurs représen­tants  (FRAB AuRA, aDABio, Terre de Liens Auvergne et Terre de Liens Rhône-Alpes, AMAP AuRA, ARDEAR, France Nature Envi­ron­nement, Îlots Paysans et l’Ate­lier des Pos­si­bles), tan­dis que chaque Cham­bre départe­men­tale dis­po­sait d’une voix. Et nos propo­si­tions n’ont même pas été soumis­es au vote !”,  explique un représen­tant d’Îlots Paysans, mem­bre du Celavar.

A l’issue des concertations régionales, les priorisations laissent présager du pire.

Sur le fond, la pri­or­i­sa­tion des propo­si­tions offi­cielles retenues dans chaque région témoigne égale­ment de la main­mise des organ­i­sa­tions tra­di­tion­nelles sur le proces­sus. La con­signe min­istérielle de ne pas abor­der les sujets “qui font débat” lors de ces con­cer­ta­tions aboutit à des propo­si­tions peu cli­vantes et peu ambitieuses :

  • Dans de nom­breuses régions (Ile-de-France, Cen­tre-Val-de-Loire et Grand-Est notam­ment), les échanges se sont cristallisés sur l’impossibilité d’envisager une gou­ver­nance partagée dans les “points accueil instal­la­tion” par les JA et les Cham­bres d’agriculture. Présen­tée comme fruit d’un con­sen­sus, la volon­té d’acter la sauve­g­arde d’un guichet unique piloté par les Cham­bres assur­erait, en l’état, le main­tien de la coges­tion État-FNSEA au détri­ment du plu­ral­isme agricole.
  • En Nou­velle Aquitaine, des propo­si­tions très inquié­tantes dis­crédi­tent com­plète­ment le tra­vail de con­cer­ta­tion, en pro­posant de “désanc­tu­aris­er les zones humides”, niant le rôle prépondérant des sols dans le stock­age naturel du car­bone et de l’eau.

 “Nous avons par­ticipé aux con­cer­ta­tions régionales pour con­tribuer à la con­struc­tion d’une loi plus juste pour l’a­gri­cul­ture et les agricul­teurs, mais nous avons été scan­dal­isés par le manque de trans­parence et l’ab­sence de prise en compte de nos con­tri­bu­tions.” — Raphaël Bel­langer, Prési­dent de l’ARDEAR Pays de la Loire.

Une consultation publique en catimini et sans ambition

Annon­cée ini­tiale­ment pour mi-févri­er et d’une durée d’un mois, la con­sul­ta­tion du pub­lic s’est longtemps fait atten­dre. Finale­ment, après 3 mois de reports suc­ces­sifs, la con­sul­ta­tion du pub­lic a été dis­crète­ment lancée, du 13 au 30 avril. Soit 15 jours, en pleines vacances sco­laires, pour con­sul­ter les citoyens sur l’avenir de notre agri­cul­ture… Reposant en très grande par­tie sur un ques­tion­naire à choix mul­ti­ples, la for­mu­la­tion de cer­taines ques­tions inter­pelle sur ce qui en était atten­du et l’interprétation qui en sera faite. Dif­fi­cile de tranch­er par exem­ple sur le fait que la crise cli­ma­tique soit un risque pour notre agri­cul­ture ou une oppor­tu­nité pour accélér­er la tran­si­tion. Le Col­lec­tif Nour­rir et ses mem­bres s’alarment de ce faux-sem­blant d’association des citoyens, d’autant que la manière dont les résul­tats de cette con­sul­ta­tion seront pris en compte dans les con­clu­sions de la con­cer­ta­tion n’est pas clar­i­fiée. Il en est de même pour la con­sul­ta­tion dans les lycées agri­coles, dont l’usage demeure encore très flou…

Les organisations du Collectif Nourrir en première ligne du renouvellement des générations d’agriculteurs, mais peu considérées.

Les organ­i­sa­tions du Col­lec­tif Nour­rir sont présentes sur les ter­ri­toires pour par­ticiper aux con­cer­ta­tions et tra­vail­lent quo­ti­di­en­nement au renou­velle­ment des généra­tions d’agriculteurs. Alors qu’elles accom­pa­g­nent aujourd’hui plus d’un tiers des instal­la­tions agri­coles, il est impens­able que leur exper­tise de ter­rain ne puisse inspir­er l’élaboration des futures poli­tiques publiques agricoles.

Pour Clotilde Bato, co-prési­dente du Col­lec­tif Nour­rir, “Nous jouons le jeu depuis le début du proces­sus : par­tic­i­pa­tion aux con­cer­ta­tions, propo­si­tions con­crètes et appel à la mobil­i­sa­tion sur la con­sul­ta­tion du pub­lic mal­gré les lim­ites évi­dentes de l’ex­er­ci­ce. Nous restons con­struc­tifs mais d’au­tant plus vig­i­lants car le proces­sus de con­cer­ta­tion sur le PLOAA incar­ne par­faite­ment le cor­po­ratisme per­sis­tant au sein du monde agri­cole. Un cor­po­ratisme dan­gereux et obsolète, à l’heure d’acter la néces­saire réori­en­ta­tion de notre agriculture.” 

Nous appelons donc à une réelle prise en compte des propo­si­tions portées par la société civile, les paysans et les citoyens pour l’élab­o­ra­tion du Pacte et de la future loi. Le compte à rebours est lancé pour que le gou­verne­ment retrou­ve l’ambition ini­tiale­ment affichée afin de faire de l’installation des paysannes et paysans un levi­er majeur de la tran­si­tion agroé­cologique. Les enjeux actuels doivent amen­er à une action forte et trans­for­ma­trice de notre sys­tème agri­cole et ali­men­taire. Aucune véri­ta­ble loi d’orientation agri­cole ne pour­ra se faire si nos voix ne sont pas pris­es en compte.