A l’occasion du Salon inter­na­tion­al de l’agriculture, et alors que 200 fer­mes dis­parais­sent chaque semaine en France, les 52 organ­i­sa­tions mem­bres du Col­lec­tif Nour­rir appel­lent à faire du renou­velle­ment des généra­tions d’agriculteur·rices la pri­or­ité. Nous pub­lions aujourd’hui un man­i­feste pour qu’1 mil­lion de paysans et paysannes rejoignent l’agriculture française d’ici 2050. Relever ce défi démo­graphique en priv­ilé­giant les fer­mes plus petites, diver­si­fiées, sobres, et dont les pro­duc­tions cor­re­spon­dent davan­tage aux besoins ali­men­taires de leur ter­ri­toire sera la clé pour généralis­er la tran­si­tion agroé­cologique. La Loi d’Orientation Agri­cole promise par Emmanuel Macron et dont la con­cer­ta­tion est actuelle­ment pilotée par le min­istère de l’Agriculture et de la Sou­veraineté ali­men­taire doit fix­er ce cap.

La France prend la voie d’une agriculture sans paysans et sans avenir

Le secteur agri­cole est con­fron­té à de nom­breux défis, mais la pre­mière urgence reste la men­ace d’une France sans paysans, demain. Nous en avons per­du 100 000 ces 10 dernières années et les 400 000 fer­mes français­es vont essuy­er 50 % de départ à la retraite dans les 10 ans à venir. Le monde agri­cole est en souf­france et les impacts de la guerre en Ukraine nous rap­pel­lent qu’une par­tie de la pro­fes­sion agri­cole, dépen­dante des marchés mon­di­aux, de l’énergie et des engrais chim­iques pro­duits à l’étranger, est très peu résiliente face aux crises.

Voir se pour­suiv­re le déclin de l’agriculture sig­ni­fie que les fer­mes restantes vont absorber les ter­res libérées et utilis­er les aides de l’État pour s’agrandir, s’industrialiser et s’écarter de plus en plus des besoins ali­men­taires, soci­aux, économiques de leur région. En suiv­ant cette voie con­traire à celle de la tran­si­tion agroé­cologique, les objec­tifs de sou­veraineté ali­men­taire, de regain de la bio­di­ver­sité, d’élevage respectueux des ani­maux ou encore de san­té publique seront défini­tive­ment inatteignables.

S’installer ou reprendre une exploitation agricole : le parcours du combattant

Aujourd’hui, 60% des paysan·nes qui s’installent n’ont pas gran­di dans le monde agri­cole. Cette pro­por­tion croît depuis plus de 20 ans. Les pro­fils éloignés de l’installation (les moins for­més, plus de 40 ans, publics pré­caires, femmes) sont ceux qui renon­cent le plus, alors qu’ils sont les plus enclins à porter des pro­jets agroé­cologiques et biologiques et qu’ils sont la clé du renou­velle­ment des généra­tions. L’intégration de ces pro­fils est néces­saire mais se heurte à plusieurs freins. Ces candidat·es ne dis­posent aujourd’hui pas :

  • de l’accompagnement spé­ci­fique néces­saire à l’émergence de leur projet
  • de for­ma­tions et de moyens de finance­ment adaptés
  • d’un accès équili­bré au fonci­er et à la ressource en eau

Un dis­posi­tif nation­al à l’installation existe bien. Cepen­dant, il n’assure pas effi­cace­ment son rôle de porte d’entrée et opère au con­traire un tri entre les por­teurs de pro­jets en priv­ilé­giant ceux issus du milieu agricole.

La trans­mis­sion des fer­mes entre généra­tions d’agriculteur·rices est égale­ment un levi­er déter­mi­nant pour per­me­t­tre le main­tien d’un mail­lage impor­tant de paysans et de paysannes sur notre ter­ri­toire. Cepen­dant, dans le cas de la reprise d’une ferme exis­tante, un tiers des pro­jets n’aboutit pas, lais­sant ain­si l’activité et les savoir-faire dis­paraitre. La rai­son est sim­ple : les fer­mes à repren­dre, poussées pen­dant des années à s’agrandir et à s’industrialiser, ne cor­re­spon­dent ni aux pro­jets ni aux moyens financiers des can­di­dats et sont un véri­ta­ble frein à l’évolution des pra­tiques à plus grande échelle. Pour­tant, la ces­sion de ce type de fer­mes est tout à fait pos­si­ble avec un accom­pa­g­ne­ment adap­té. La restruc­tura­tion de l’exploitation en la divisant ou en trans­for­mant l’activité per­me­t­trait de s’adapter aux aspi­ra­tions des candidat.es qui recherchent active­ment des fer­mes à repren­dre ou des terres.

Doubler le nombre de paysan·nes en France : une condition pour enclencher la transition agroécologique et évoluer vers une démocratie alimentaire

Le change­ment cli­ma­tique et la perte de la bio­di­ver­sité touchent de plein fou­et les paysans et les paysannes. Sécher­ess­es, canicules, pré­cip­i­ta­tions intens­es, per­tur­ba­tion des écosys­tèmes, dis­pari­tion d’espèces, appau­vrisse­ment  des sols, (…) sont autant de fac­teurs qui met­tent en péril les capac­ités de pro­duc­tion d’une ali­men­ta­tion saine, diver­si­fiée et locale. L’agriculture subit ce que son mod­èle a con­tribué à génér­er : notre sys­tème agri­cole et ali­men­taire actuel est respon­s­able d’un tiers des émis­sions de gaz à effet de serre.

En par­al­lèle, les Français·es souhait­ent de plus en plus repren­dre la main sur leur ali­men­ta­tion en revendi­quant une agri­cul­ture qui puisse nour­rir la planète sans la détru­ire et sans exploiter les paysan·nes. L’heure n’est donc plus au main­tien d’un sys­tème indus­triel destruc­teur pour l’environnement et l’agriculture paysanne et qui ne per­met pas de garan­tir un accès digne à l’alimentation pour tous.

Faire sauter les ver­rous de l’installation et de la trans­mis­sion, c’est aussi :

  • créer des con­di­tions pour mul­ti­pli­er les fer­mes agroé­cologiques et biologiques sur les ter­ri­toires y com­pris en élevage
  • stop­per l’a­gran­disse­ment et la spé­cial­i­sa­tion des fer­mes polluantes
  • s’op­pos­er à une troisième révo­lu­tion agri­cole, fausse solu­tion aux enjeux envi­ron­nemen­taux qui ne per­met pas de garan­tir l’au­tonomie des fer­mes qui seront tou­jours coincées dans un mod­èle peu résilient face aux crises.
  • de renouer le lien entre pro­duc­tion et con­som­ma­tion en per­me­t­tant à chaque ter­ri­toire de retrou­ver son tis­su social et économique et en offrant à ses habitant·es une pro­duc­tion locale respectueuse de la san­té et des terres.

Atteindre 1 million de paysan·nes d’ici 2050, c’est possible

Pour relever le défi démo­graphique nous devons chang­er le sys­tème pour :

  • être en capac­ité d’attirer et d’accueillir des nou­veaux arrivants en ren­dant le méti­er plus attrac­t­if et mieux rémunéré,
  • les aider à la créa­tion de leur ferme, étape si dif­fi­cile qu’un tiers des candidat·es aban­don­nent, notam­ment parce que les fer­mes à repren­dre sont trop chères ou incom­pat­i­bles avec leur projet,
  • assur­er qu’aucune ferme sup­plé­men­taire ne dis­paraisse en inter­dis­ant les agran­disse­ments de ferme pour impos­er la pri­or­ité aux nou­veaux entrants, a for­tiori sur des sys­tèmes agroécologiques,
  • dessin­er les con­tours d’une agri­cul­ture vivante et durable en repen­sant les critères d’évaluation de la per­for­mance des fer­mes et d’accès aux aides publiques, pour qu’ils soient réservés au développe­ment de pra­tiques réelle­ment agroécologiques.

Notre oppor­tu­nité, c’est la Loi d’Orientation Agri­cole qui devra trou­ver la meilleure solu­tion au déclin rapi­de du secteur. Cette loi appelle actuelle­ment à la con­cer­ta­tion de nom­breux acteurs, dont le Col­lec­tif Nour­rir et ses organ­i­sa­tions mem­bres, et sera débattue à par­tir de juin par le Parlement.

Notre man­i­feste pour 1 mil­lion de paysan·nes et 1 mil­lion d’engagements pour la tran­si­tion agroé­cologique d’ici 2050, c’est dans le cadre de cette con­cer­ta­tion que nous allons le porter, pour que plus aucune ferme ne dis­paraisse et que plus aucun·e candidat·e à l’agroécologie paysanne et à l’agriculture biologique ne se décourage d’apporter sa con­tri­bu­tion à la société.