Le gouvernement invoque de manière croissante l’objectif de “souveraineté alimentaire” pour définir les orientations françaises prises en matière d’agriculture. Parmi les engagements pris dans la suite des mobilisations des agriculteur·rices : un rapport sur l’état des lieux de la souveraineté alimentaire de la France et l’inscription d’une définition dans la prochaine loi d’orientation agricole (LOA). La notion de souveraineté alimentaire émane du mouvement paysan Via Campesina qui en a établi une définition dès 1996 : “le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires.” Mais depuis la guerre en Ukraine, la FNSEA lui redonne un sens, celui de “nourrir le monde” pour justifier le maintien d’un système reposant sur la compétitivité économique et la captation de marchés internationaux, ce qui favorise des productions industrielles intensives tout en fragilisant les paysan·nes en France et partout dans le monde. La défense de la vision originelle de la souveraineté alimentaire, largement reprise par les Nations Unies dans une déclaration de 2018 et qui protège l’intérêt général et le droit des paysan·nes au Nord et au Sud, ainsi que le droit à l’alimentation, est donc essentielle dans le cadre de la future LOA.
La problématique
- L’appel à la souveraineté alimentaire est régulièrement détourné pour obtenir des reculs environnementaux, inciter à produire plus ou encore soutenir la logique d’exportation pour “nourrir le monde”. Chacun de ces éléments va à l’encontre du principe même de souveraineté alimentaire et a plutôt tendance à dégrader notre environnement.
- Les intérêts mercantiles de l’agro-industrie rendent les fermes dépendantes (intrants chimiques, gaz russe, etc), et peu résilientes face aux crises internationales.
- La logique actuelle de compétitivité internationale et d’exportations à bas prix a, à la fois des effets néfastes sur le revenu des paysans français, mais est aussi destructrice pour les agricultures du Sud, de moins en moins en capacité de nourrir leurs populations.
La solution
- Un accès autonome et digne à une alimentation choisie, sûre, saine, diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité gustative et nutritionnelle et produite dans des conditions socialement, économiquement et écologiquement durables.
- Une approche systémique de la souveraineté alimentaire, articulée avec le droit à l’alimentation et le droit à un environnement sain.
- Le soutien aux marchés locaux et régionaux pour favoriser un système agricole et alimentaire en adéquation avec son territoire, et des échanges internationaux encadrés pour assurer qu’ils soient justes et équitables.
Les besoins
- Réaffirmer la définition de la souveraineté alimentaire telle qu’adoptée par les Nations Unies pour piloter et encadrer l’ensemble des politiques publiques françaises et européennes ayant trait à nos systèmes agricoles et alimentaires.
- Réorganiser en profondeur nos systèmes agricole et alimentaire en se basant sur les droits des citoyens et des paysans.
- Garantir une juste répartition de la production alimentaire (accès physique et économique)
- Prioriser la production alimentaire destinée aux marchés nationaux et locaux, basée sur des systèmes de production diversifiés et agroécologiques.
- Assurer des prix justes et rémunérateurs aux agriculteurs, par une meilleure répartition de la valeur entre les maillons de l’amont et de l’aval, la régulation des marchés agricoles, ainsi que leur protection vis-à-vis des importations à bas prix, en Europe et partout dans le monde.
- Gérer durablement les ressources (foncier, eau et autres ressources productives), sans captation par certains acteurs.
Témoignage |
Le Mali a besoin de 3,8 millions de tonnes de céréales pour nourrir sa population par an et nous produisons plus que cela. Le pays est autosuffisant en matière de production alimentaire et chacun des pays africains que j’ai pu visiter disposent des conditions optimales pour pouvoir se nourrir. Mais leurs capacités de production ont été déstabilisées par les stratégies d’exportations vers l’Afrique (Blé, Maïs, etc). Sous couvert de l’aide alimentaire, des pays comme la Somalie se sont vus imposer des exportations de blé et sont complètement perdus dans un contexte de guerre en Ukraine en étant dépendants à 100% d’une denrée qui ne fait même pas partie de leurs habitudes de consommation. Les exportations de la France vers les pays d’Afrique comportent des coûts pour les français mais viennent aussi déstabiliser les agricultures africaines. L’Afrique peut et veut se nourrir ! Mais à condition que rien ne vienne perturber nos systèmes agricoles et alimentaires locaux. |
Mamadou Goïta, Ingénieur, socio-économiste du développement, expert IPES-Food et ancien secrétaire exécutif du ROPPA |