Suite à l’activation de la procédure d’urgence le 11 avril dernier, les eurodéputés voteront ce 24 avril à Strasbourg les propositions de révision des règlements PAC, parachevant un processus mené dans l’urgence et dans un déni démocratique manifeste. Malgré une volonté affichée de répondre à la crise agricole, ces mesures ne répondent aucunement aux revendications paysannes portant sur de meilleurs revenus. Pire, elles entament, à moyen terme, la capacité de notre agriculture à fournir une alimentation saine et durable à la population. Le Collectif Nourrir appelle les parlementaires européens à rejeter, en l’état, cette déconstruction de la PAC.
Une révision forcée et anti-démocratique
Alors que plusieurs pays européens ont connu depuis le début de l’année 2024 d’importantes mobilisations d’agriculteurs et agricultrices, la Commission européenne, sous pression de plusieurs Etats dont la France, a rapidement formulé des propositions pour y répondre. Dès sa proposition législative de réouverture de la PAC le 15 mars, elle s’est réfugiée derrière l’urgence de la crise agricole pour justifier de se passer d’étude d’impact et de débat démocratique. Un simple “processus de consultation ad hoc d’une semaine” auprès des quatre principales organisations syndicales européennes lui aura suffi pour engager la révision de la PAC dont les règlements ont pourtant nécessité plusieurs mois de négociations pour être adoptés.
Les ministres de l’agriculture des Etats membres ont validé à l’unanimité cette proposition qui renforce la renationalisation d’une politique pourtant fondatrice de l’Union européenne. Cette semaine, c’est au tour du Parlement européen de se positionner sans se laisser le temps d’en débattre. Le Conseil lui demande, en effet, de valider en bloc la proposition pour éviter toute négociation interinstitutionnelle et s’assurer de son adoption avant les élections de juin.
Cette procédure, sans étude d’impact, sans consultation publique et sans véritable débat parlementaire, est illégitime et dangereuse pour la démocratie. Le Collectif Nourrir a alerté les parlementaires européens ces dernières semaines sur le risque que ces méthodes font porter sur la crédibilité des institutions européennes et sur l’enjeu de garantir une PAC réellement commune.
Notre capacité à produire notre alimentation est en péril
Les propositions de modification des règlements PAC reviennent principalement sur des dispositions réglementaires relatives à la conditionnalité et notamment les Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales (BCAE). Selon le texte de départ de la Commission européenne, les ajustements se concentrent sur des “changements de l’équilibre entre les exigences de conditionnalité et les programmes volontaires qui encouragent les pratiques écologiques”.
Dans les faits, la proposition acte la déconstruction des exigences environnementales et climatiques de l’actuelle PAC en supprimant, par exemple, l’obligation de rotation des cultures ou la part minimale de surfaces favorables à la biodiversité. En contrepartie, les propositions pour renforcer les mesures incitatives et les outils d’accompagnement à la transition ne sont pas à la hauteur. Citons par exemple l’éco-régime Bio dont le montant est très faible en France ou encore les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC) largement sous dotées. D’autre part, certains systèmes, comme les élevages herbagers, sont encore trop peu valorisés alors qu’ils contribuent au maintien des prairies et au stockage de carbone.
Pour le Collectif Nourrir, cette révision des règlements ne fait qu’ébranler le socle d’une architecture environnementale et climatique déjà précaire. Elle ne répond pas aux revendications principales des mouvements paysans portant sur de meilleures conditions de vie et une plus juste répartition de la valeur dans les chaînes alimentaires. Elle risque même de précariser les paysannes et paysans d’Europe, en les rendant plus vulnérables aux aléas climatiques et économiques actuels et à venir.
Entamer de la sorte les fondements environnementaux de la PAC, c’est mettre en péril la viabilité des agroécosystèmes. Le choix des parlementaires européens aura donc des conséquences sur la possibilité d’assurer une production agricole et alimentaire à moyen terme. Le Collectif Nourrir les appelle à rejeter, en l’état, ces propositions de déconstruction de la Politique Agricole Commune.
Ne sacrifions pas le futur de la Politique Agricole Commune
Le Dialogue Stratégique, initié en janvier dernier, réunit l’ensemble des parties prenantes pour tenter de construire une vision commune sur l’avenir des systèmes agricoles et alimentaires de l’Union européenne et sur le futur de la PAC. D’autre part, la Commission européenne a également initié, ces derniers mois, une série d’ateliers pour préfigurer la future PAC post-2027. La modification précipitée des règlements actuels de la PAC est en contradiction avec ces initiatives qui cherchent à s’inscrire dans le temps long et la concertation.
Revenir dans l’urgence sur les fondements de la PAC en cours risque de limiter la portée des révisions futures des Plans Stratégiques Nationaux et d’entamer considérablement l’ambition de la PAC post-2027. En outre, ces décisions vont à rebours de l’ambition initiale de la PAC actuelle qui devait contribuer à répondre aux objectifs du pacte vert européen, aujourd’hui menacés.
“La crise agricole, en plein contexte électoral, ne doit pas servir de prétexte à des retours en arrière. Il ne faut pas perdre le cap d’une PAC à la fois écologiquement et socialement ambitieuse. Les révisions de la PAC actuelle devraient plutôt s’attacher à soutenir le revenu de tous les agriculteurs. Nos organisations appellent à ce que les eurodéputés ne cèdent pas à la facilité et prennent leurs responsabilités. Leur décision sur la PAC actuelle aura des répercussions sur celle du futur. Il en va de notre capacité à faire face aux bouleversements climatiques et aux déséquilibres géopolitiques et économiques à venir. ” estime Mathieu Courgeau, co-président du Collectif Nourrir.