Un an après l’annonce par Emmanuel Macron du processus devant permettre d’aboutir à un “pacte-loi d’orientation et d’avenir agricoles” (PLOAA) et à l’issue de plusieurs mois de concertation et de consultation, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a choisi “Terres de Jim”, un événement organisé par le syndicat Jeunes Agriculteurs, pour présenter les grandes lignes du projet. Le Collectif Nourrir et ses 54 membres, engagés dès le début sur l’ensemble des travaux, regrettent ce choix marqué. Surtout, ils se questionnent sur l’ambition réelle du PLOAA et la volonté de prendre en compte la “diversité des avis” censés avoir guidé son élaboration. Le Collectif attend qu’au-delà des principes, des décisions fortes soient prises pour permettre d’allier renouvellement des générations agricoles et transition agroécologique.
Souveraineté ou compétitivité ?
La volonté de cadrer les mesures devant permettre un renouvellement des générations agricoles sur la base de l’objectif de souveraineté alimentaire est positif si, et seulement si, le concept tel que posé en 1996 par la Via Campesina et reconnu par les Nations Unies, n’est pas dévoyé. La souveraineté alimentaire implique plusieurs principes essentiels : mettre les droits des paysans et paysannes et le droit à l’alimentation au cœur des décisions, favoriser la démocratie alimentaire et assurer que les politiques publiques d’un pays ne nuisent pas à un autre. Autrement dit, en aucun cas la souveraineté alimentaire ne doit être comprise comme une incitation à « nourrir le monde » alors que la production mondiale actuelle permettrait déjà de nourrir 10 milliards de personnes, si elle n’était pas gaspillée ou détournée de son usage alimentaire. La souveraineté alimentaire ne peut non plus être une incitation à maintenir le système productiviste en place au risque d’accentuer l’hémorragie de paysans sur nos territoires et dans les pays tiers. Nos organisations seront extrêmement vigilantes sur ce point.
Comment accompagner une diversité de profils sans intégrer la pluralité des acteurs ?
La réforme du parcours d’accompagnement à l’installation et à la transmission, actée à travers la création de “France Service Agriculture”, aurait pu représenter un symbole fort de changement. Pourtant, les premières annonces concernant l’organisation de cet espace laissent un sentiment de déjà-vu aux organisations du Collectif Nourrir, qui ne voient pas dans ce supposé “nouveau” système les changements significatifs qui permettront d’accompagner de manière satisfaisante les personnes non-issues du milieu agricole (NIMA) et les cédants dans leur diversité. Au regard de leur nombre (60 % des candidats) et de leurs aspirations (fermes à taille humaine, biologiques, etc.), les NIMA doivent être les cibles prioritaires d’une politique destinée à assurer le renouvellement des générations agricoles et la transition agroécologique.
Le Collectif Nourrir souligne le besoin d’une “gouvernance rénovée” de tous les espaces de pilotage des politiques publiques sur la question, comme le point essentiel d’une réforme de l’accompagnement à l’installation et à la transmission efficiente. Si le gouvernement refuse d’ouvrir le pilotage et l’animation des parcours à la pluralité des organisations paysannes et citoyennes qui y concourent sur le terrain, il assumera le maintien d’un système dont l’organisation est à l’origine même de son échec à accueillir et à accompagner tous les profils. En outre, le Collectif alerte sur le danger de mesures foncières insuffisantes pour orienter l’utilisation des terres vers l’agroécologie et pour prioriser l’installation ou le renforcement des plus petites structures, et qui ne feront qu’accélérer la financiarisation du secteur agricole. Tout cela, au bénéfice d’une concentration toujours plus importante des terres, à l’heure où assurer la reprise des exploitations en rendant notamment possible la restructuration des plus grandes doit être une priorité pour maintenir un tissu dense de fermes viables et nourricières sur les territoires.
Agir sur les crises climatique et de la biodiversité : un vœu pieux ?
L’intention initiale était de faire converger les enjeux de renouvellement des générations agricoles et de transition. En effet, vouloir installer plus de paysans et paysannes doit être considéré comme un levier essentiel pour permettre la transition agroécologique et la massifier sur nos territoires. Les événements climatiques récents ne font que confirmer l’urgence à agir, tout comme la dramatique perte de biodiversité, dans les sols notamment. Le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a insisté sur l’importance de la planification écologique pour inscrire les actions dans la durée. Pour le Collectif Nourrir, cela passe par des choix politiques forts et des orientations claires sur le type de modèles agricoles et de production qu’il convient aujourd’hui de soutenir et privilégier. On ne peut plus nier les impacts néfastes de l’industrialisation de l’agriculture sur l’environnement et la santé. Ainsi, la transition écologique, qui implique de vrais changements de systèmes et non de simples ajustements ou une optimisation, doit être la véritable boussole du PLOAA. Et, en conséquence, des mesures fortes et additionnelles doivent permettre un soutien accru à l’agroécologie, dont l’agriculture biologique, et à la nécessaire transition vers des élevages paysans, alors qu’ils sont les premiers à disparaître au profit des productions animales industrielles. Au-delà des principes, nous attendons que ces annonces soient traduites dans des engagements concrets.
Il est encore temps de reprendre et préciser cette première copie
Les annonces préliminaires du ministre demandent à être précisées pour évaluer l’ambition réelle que se fixe le gouvernement sur la planification et l’orientation de notre agriculture. Les défis sont là. Au-delà de la démultiplication des plans et autres dispositifs, ce sont la cohérence, l’ambition et des choix clairs qui doivent piloter l’avenir de notre agriculture et de notre alimentation.
Le Collectif Nourrir est résolument engagé pour une réorientation de notre agriculture afin de répondre aux crises multiples et assurer la souveraineté alimentaire pour toutes et tous, partout dans le monde. Cela demande une approche systémique qui doit, par ailleurs, ne pas laisser de côté les enjeux sanitaires, sociaux et économiques : un revenu et une retraite justes pour des agriculteurs à ce jour trop souvent insuffisants, une alimentation saine, durable et de qualité pour des citoyens de plus en plus nombreux à être confrontés à la précarité alimentaire et aux problèmes de santé publique.
Nous appelons le gouvernement à renforcer son ambition en révisant et précisant ces premières annonces avant l’enclenchement officiel du processus (conseil des ministres, travaux parlementaires, décrets, etc.), et réitérons notre volonté d’y contribuer, pour éviter de faire accoucher ce chantier d’une souris. Le PLOAA se doit d’être ambitieux pour accompagner la transition vers un système agricole et alimentaire adapté aux territoires, qui respecte les limites planétaires, garantisse l’accès à une alimentation saine et durable, crée de l’emploi et permette l’autonomie des paysans et paysannes.